Au travers du chaos de ses pensées qui se réactivaient, la jeune femme éventait une onde palpitante qui tentait de s’infiltrer en elle, de débusquer la racine de son être comme le ferait un braconnier sûr de ne pas être repéré dans un bois isolé. Non désagréable. Comme un mal douloureux, mais bienfaisant sur le moment. L’étrange impression de planer, alors même qu’elle se sentait lourde et impotente entre les bras qui la maintenaient dans leur étau de chair. L’impression que ses perceptions se diluaient, dans un néant attendu. Elle devait se reprendre, revenir à la surface du rêve, si elle ne voulait pas y rester pour toujours. Cette drôle de sensation qui refusait de se résorber la désarçonna, un instant. Elle réitéra ses efforts pour émerger ; sa tête était si lourde !— Revenez à vous…
Elle sursaute, et son monde provisoire se fêle.
— Quoi ?
— Là… ça vient…
Mais…
Maylis se sentit portée vers les hauteurs. Vague nausée qui en découle. Rêve-t-elle encore ? Pourtant…
— Encore un petit effort… Vous devez le faire.
Cette fois, les mots ont l’air solide. Maylis s’affranchit brusquement de l’irréalité. Une étape. Yeux fermés. Une autre étape. Ses yeux s’ouvrent, désorientés. Que s’est-il passé ?
— Que se passe-t-il ?
Au-dessus d’elle, le visage d’un inconnu qui lui fait croire une brève seconde qu’elle était l’élément variable d’une expérience, et qu’il était le scientifique qui l’épiait comme on regarde un paramètre nomade. Sous la pensée stupide, ses lèvres s’étirent.
— Comment vous sentez-vous ?
Elle ne sait pas. Son cou, sa tête lui font mal. Tous ses muscles semblent fébriles et faibles.
— Je… je ne sais pas. J’ai dû tomber.
Il opine :
— Je vous ai trouvée inanimée, au sol.
Emportée malgré elle, Maylis se sent incapable de l’empêcher.
— Vous…
— Ne vous tracassez pas. Je ne vais pas vous lâcher.
La jeune femme tourne un regard embrumé vers l’accélérateur, puis vers le puits où tout à l’heure elle a cru… Il n’y a rien, et elle se fustige. Bon sang ! Quand apprendra-t-elle à dompter sa sensitivité ? Depuis qu’elle est arrivée sur l’astéroïde, ses visions se sont multipliées. Elle avait cru s’en être émancipée. Une simple rémission… Son regard croise celui de l’étranger qui l’a secourue. Elle tente de sourire, mais ne fait que grimacer.
— Je crois que j’ai besoin d’un remontant.
Il ne répond pas, mais la couve d’un œil appuyé et d’une gravité dérangeante.
A-t-elle proféré quelque incongruité ?
— Vous êtes nouveau, ici ?
Il la considère avant de répliquer stoïquement :
— Oui. Puis il rajoute : on m’a débarqué la nuit dernière. Les sphères ascensionnelles nous ont déposés.
— Nous ?
— Une dizaine de types comme moi. Nous sommes censés prendre la relève des plus fragiles, vos dérivants, je crois ; ceux qui ont été rapatriés, ou vont l’être d’ici peu.
Maylis s’étonne ; elle n’a pas entendu parler des transferts, mais après tout, elle n’est pas informée de tout ce qui se passe sur le caillou.