Chap Le Dieu Serpent - végétation
Actualités,  Annexes,  Extraits de textes choisis - L'éveil du Dieu Serpent,  O’Shea Tjungurrayi

O’Shea Tjungurrayi

Chapitre : O’Shea Tjungurrayi

 

Cahier d’Avril Scott : Un paradis isolé, loin des aléas du monde urbain ; je ne demandais que ça. La faune et la flore y avaient tout leur sens et m’accompagneraient. Je n’y serais jamais seule, ne res­sentirais jamais cette impression de solitude qui vous étreint en plein centre de Melbourne ou d’une tout autre capitale humaine.

Forêt en Tasmanie
Forêt en Tasmanie

De retour sur ce qu’elle considérait désormais comme « son île » et « son parc », Avril était en paix avec elle-même ; d’une certaine manière, car il y avait tellement à faire qu’elle avait souvent la sensation que son cerveau en effervescence allait se fissurer par trop d’apports généra­teurs d’activités à l’infini. Elle se savait intelligente, d’un haut niveau d’intelligence. Mais visiblement, cela ne suffi­sait pas à la rendre plus perspicace et plus fluide dans ses réflexions qui s’entrechoquaient lorsqu’elle y mettait le feu aux poudres.

La jeune femme s’était rendue au Centre de Planification et de Documentation, une bâtisse officielle sur l’île tas­mane, recensant les bâtiments libres de tout acte de pro­priété. Elle avait l’intention d’y potasser les diverses options d’achat ou de location, d’organiser l’exploration sur le ter­rain et se prononcer promptement.

Au bout du compte, Avril avait retenu une dizaine de dossiers potentiels ; elle avait du pain sur la planche. Les visites devaient commencer le surlendemain par un corps de bâtiments, dans la partie centrale de la péninsule. Dans l’entre-temps, elle avait obtenu un rendez-vous avec le géo­mètre pour une approche préalable des limites exactes du domaine.

Une fois tous les entretiens planifiés et les excursions engagées, elle pourrait se consacrer à un inventaire préli­minaire de la faune ; celui des espèces végétales était déjà amorcé. Accompagnée d’un autochtone, elle comptait se rendre, l’après-midi même, dans la forêt ombrophile du parc national du Mont Field, au centre de l’île, au nord-ouest de Hobart, à près de deux cent quarante-cinq kilo­mètres de la baie. La distance était conséquente, mais pas au point de décourager la jeune femme qui avait programmé cette incursion en direction de la vallée des géants depuis un bout de temps.

Chap Le Dieu Serpent - végétation
Chap Le Dieu Serpent – végétation

O’Shea Tjungurrayi, originaire du Kimberley, la gui­dait entre les méandres des chemins s’enfonçant entre les arbres gigantesques de la forêt primaire datant de l’ère du jurassique. Un vestige du Gondwana originel, un super continent disparu depuis plus de cent millions d’années. L’univers des mousses, des lianes et des fougères arbores­centes, des acacias et des eucalyptus, de plus de cent mètres de hauteurs et de cinq mètres de large, dominait en dessi­nant des strates étagées. Il y avait des pins de Douglas, des épicéas, des séquoias également. À intervalle, son guide lui indiquait une plante que l’on ne voyait nulle part ailleurs, une jeune pousse d’arbre particulièrement bien dressée. La forêt chantait dans les ombres de la canopée et devant cette biodiversité exceptionnelle, le cœur de l’éthologue bourdonnait dans sa poitrine.

De nombreuses associations s’étaient battues pour la préservation des forêts humides et de leurs végétations caractéristiques. En deux mille quatorze, le gouverne­ment australien avait réclamé le déclassement de milliers d’hectares de forêts en vue de leur exploitation. Requête heureusement déboutée par le Comité du Patrimoine mondial à l’époque. L’UNESCO, comme d’autres institu­tions de protection et de conservation de la nature, avait fait front pour s’opposer à la destruction massive de larges secteurs tasmans. À leur côté, les citoyens australiens, mais également du monde entier, s’étaient mobilisés pour empê­cher un tel désastre.

Au début du XXIe siècle, le carnage écologique avait amorcé les premiers affrontements entre les associations environnementales et les gouvernements successifs. Au cours des années suivantes, d’autres batailles s’étaient déroulées pour la sauvegarde des arbres géants. Les terres forestières avaient vu leurs superficies diminuées ; celles-ci avaient été davantage maltraitées que les terres des Blue Mountains devenues, pour beaucoup d’entre elles, des terres agricoles en cultivant ces organismes génétiquement modifiés. Le napalm, les neurotoxiques, plus récemment les OGM s’étaient mis de la partie, stérilisant des milliers d’hectares de forêts et leur faune et leur flore. Une tragédie à l’échelle du monde. Pourtant, le biome forestier survivait toujours, un miracle.

Chute d'eau australienne
Chute d’eau australienne

O’Shea et Avril croisaient, régulièrement, des criques abritées qui encourageaient à la paresse. La jeune femme ne put résister à la vision d’une piscine naturelle cernée par les mousses et les fougères, et s’y baigna un moment sous la sollicitude attendrie de l’aborigène. Au sortir de l’eau, son regard fut attiré par un massif de fleurs de Waratah qu’elle admira longuement. Pleinement épanouies afin de capter l’humidité ambiante, les fleurs étaient d’une beauté raffinée que son œil d’éthologue ne pouvait qu’accrocher. Leurs délicats pétales évoquaient de longs doigts fins, ou encore des pattes d’araignée roses ou orangées.

Quand ils quittèrent la crique, un thylogale jaillit d’entre les arbres devant eux et s’éloigna par bonds sans se préoccuper de leur présence. Ils avaient dû le déranger. Un pademelon à ventre rouge, eut le temps d’observer la jeune femme conquise par le petit marsupial avant que celui-ci ne dis­paraisse au milieu des pandanis, ces palmiers endémiques propres aux forêts froides et pluviales.

Je suis une auteure de romans de Science-fiction et de fantastique gothique, très respectueuse du genre humain et de ses potentialités, de la nature, des grands arbres et des grands espaces. Je n’aime pas être cantonnée à des normes édictées, mais aspire à être moi-même. Suivre les normes édictées de manière non réfléchie amène à une limitation de ce potentiel de l’Humain, alors ne m’en voulez pas si j’en sors de temps à autre ou bien souvent. Je suis une créatrice. Quatorze de mes romans sont publiés ainsi qu'un recueil de nouvelles de SF dont l'une d'elles, L'Avatar, a gagné le prix René Barjavel en 2022 au Festival Les Intergalactiques de Lyon.